Ibsen Huis : déliquescence familiale

Le metteur en scène australien a été découvert en France à Nanterre-Amandiers en 2015 avec son Thyestes ultra-contemporain. Son sublime Medea à l’Odéon-Théâtre de l’Europe a fini de conquérir le cœur des parisiens le mois dernier et son retour dans ce même lieu, où il est artiste associé, pour présenter sa version prodigieuse des Trois Sœurs (Drei Schwestern) est fort attendu. Invité pour la première fois au Festival d’Avignon, il a offert avec la troupe du Toneelgroep d’Amsterdam une formidable Ibsen Huis qui met en lumière la déliquescence d’une famille confrontée à un terrible secret.

Ibsen Huis de Simon Stone © Christophe Raynaud de Lage
Ibsen Huis de Simon Stone © Christophe Raynaud de Lage

La maison est là, trônant fièrement au centre du plateau de la Cour du Lycée Saint-Joseph. C’est la même que celle des Trois Sœurs, mais aménagée différemment. Avec ses baies vitrées entourées de terrasses en bois, nous pouvons voir tout ce qui s’y passe. La sonorisation nous donne également à entendre le moindre bruit, amplifié. Cela ressemble à la maison du bonheur, pleine de vie, de rêves et d’amour. Une jeune femme blonde patiente sur les marches intérieures puis se prépare à dîner durant l’installation du public. C’est Lena. Son téléphone sonne. Le prologue, intitulé La Conception, vient de débuter. Nous sommes en août 1974 et elle s’apprête à quitter son fiancé, Jacob, pour rejoindre son ancien mari, réapparu à l’annonce de ses fiançailles. Mais revenons en janvier 2004 où s’ouvre le paradis. On y retrouve Lena et Jacob, plus vieux, venant une nouvelle fois de se séparer. Sont-ils victimes ou coupables de l’amour ? Pourquoi leur couple est voué à la perte d’un lien qui semble pourtant indéfectible ? Pour le savoir, il va falloir analyser cette famille, percer les secrets les plus inavouables et remonter les souvenirs pour comprendre la déliquescence des membres et la tension permanente qui subsiste. Adviendra alors une terrible et vertigineuse chute en Enfer.

Simon Stone propose une adaptation complète de l’œuvre d’Ibsen. Il compile les personnages et dissèque les liens familiaux grâce à une écriture intense et ciselée. Son travail est intelligible et sensible. Sa direction d’acteurs est précise, soulignée par une fluidité déconcertante. Et sa mise en scène est véritablement inspirée. Grâce à la fabuleuse troupe du Toneelgroep d’Amsterdam, il nous précipite avec virtuosité dans un tourbillon qui ne cesse de nous aspirer, de nous entraîner, toujours plus loin, jusqu’à toucher le fond et remonter brusquement à la surface, dans une lumineuse vérité qui nous laisse anéantis, en larmes, sous le choc des révélations et de la puissance de la pièce. Grâce à de nombreux aller-retours dans le temps et avec différentes générations offertes à son analyse à des années variables, il questionne le poids du silence et la destruction psychologique et physique d’une famille confrontée à un secret qui a constamment le cœur au bord du gouffre. Et puis, il y a la reconstruction, possible ou impossible, après le choc de la confrontation avec la folie d’un quotidien trop présent.

Les trois parties, nommées le Paradis, le Purgatoire et l’Enfer, font passer les protagonistes de la lumière aux ténèbres. Au creux d’une maison avec étage, tout de bois et de verre, nous découvrons l’impossibilité de se soustraire à l’équation familiale calculée par le patriarche, Cees. L’acteur Hans Kesting excelle dans ce nouveau rôle de monstre humain auquel Ivo van Hove l’a si bien habitué. Il nous secoue, nous piétine, nous bouleverse. Son jeu, comme celui de la troupe, est poignant, sublime. Chaque élément est remarquable d’intensité. La maison, personnage central de l’intrigue, pilier de la famille qui va peu à peu s’effondrer, est le symbole du tourbillon des âmes et de la vie. La magistrale scénographie proposée n’occulte rien, d’autant plus que la demeure est montée sur tournette et que ses parois sont enlevées dans la partie II. Tout est à vue, tout sera dit, montré, su. Ancien refuge familial, elle devient la maison du malheur dont même le feu ne saurait effacer les traces indélébiles. Tout le monde savait mais personne n’a rien dit, en dépit des conséquences en cascade.

Ibsen Huis est un véritable choc théâtral, un monument de la résilience avec un art bien vivant. Tout est mené d’une main de maître par Simon Stone qui est une nouvelle fois bouleversant dans son approche de la décadence humaine. Il sait nous parler, nous toucher et mettre un grain d’universalité dans tout ce qu’il propose. A aucun moment il n’instaure une distanciation entre le public et ce qui se produit sur la scène. Aucun doute, le nouveau chouchou de la critique française vient de frapper très fort et c’est tout simplement prodigieux !


Ibsen Huis

Texte et mise en scène : Simon Stone

Dramaturgie et traduction : Peter van Kraaij

Musique : Stefan Gregory

Scénographie : Lizzie Clachan

Lumières : James Farncombe

Distribution :

Frédérique / Johanna vieille : Celia Nufaar

Cees / Vincent : Hans Kesting

Thomas / Daniël vieux : Bart Klever

Johanna / Lena adulte : Maria Kraakman

Caroline adulte : Janni Goslinga

Lena jeune / Fleur : Claire Bender

Sebastiaan adulte / Jacob jeune / Journaliste : Marteen Heijmans

Daniël / Arthur / L’ex de Lena : Aus Greidanus Jr.

Caroline jeune / Pip : Eva Heijnen

Jacob / Conseiller municipal : Bart Slegers

Sebastiaan jeune : David Roos

Durée : 4h00 avec entracte en néerlandais surtitré en français

  • Du 15 au 20 juillet à 21h

dans le cadre du Festival d’Avignon

Lieu : Cour du Lycée Saint-Joseph

  • Du 8 au 17 février 2018

Lieu : Stadsschouwburg (Amsterdam)


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