Sandre : sombrer en silence

C’est à la Manufacture que le Festival OFF d’Avignon présente Sandre de Solenn Denis, un seul-en-scène saisissant sur l’abandon d’une femme poussée à commettre un geste irréparable, l’infanticide, miroir de sa pudique douleur passée sous silence sans plainte, sans larmes. Quand les blessures les plus profondes sont celles sur lesquelles il est difficile de poser des mots, comment ne pas sombrer en silence ? C’est ce que nous donne à voir Erwan Daouphars chaque après-midi, à 13h45.

Sandre © Pierre Planchenault
Sandre © Pierre Planchenault

L’homme est là, sur scène, à tourner de manière compulsive sa cuillère dans sa tasse. Un geste anodin et quotidien mais pourtant, quelque chose ne va pas. Assis, enfoncé avec élégance dans un fauteuil tapissé d’un style ancien où les clous ont envahis le dessous de l’assise comme des herbes folles, il est là, pieds nus, tenue sombre, regard dans le vague de ses pensées. Il ? Non, plutôt elle. Elle, c’est une mère de famille, en robe de chambre, que l’on devine bien en chair, négligée. Son mari ne l’aime plus, les sentiments se sont évaporés sans réellement s’en apercevoir. « On est tous les deux sinon on n’est pas entier » dit-elle. Mais voilà qu’il la quitte désormais pour Sandrine, sa secrétaire, une femme plus jeune, plus mince et surtout différente de ce qu’elle est devenue, elle va jusqu’à exprimer sa douleur dans un terrible infanticide parce que « ça déraille parfois la vie ». Tout en cette femme respire le malheur. On perçoit chaque once de sa détresse, de sa solitude, de son manque d’amour, de son abandon : « Tu ne peux pas aller seul avec ton amour quand l’autre l’a repris ». Et toujours ce désir inassouvi de tout recommencer : « choisir un homme qui m’aime et ne plus tuer mon enfant ».

Erwan Daouphars est un homme viril qui laisse s’exprimer émotions et sensibilité. Il ne cherche pas à imiter de manière grotesque une femme. Non, il est juste cette épouse, cette mère, lui qui ne pourra jamais porter d’enfant dans son ventre. Il n’excuse rien, il n’explique pas tout, il ne juge personne. Il s’affranchit de toutes les frontières de l’affect pour mieux entrevoir l’humanité derrière la tragédie. C’est un homme qui se glisse dans la peau, le corps et les pensées d’une femme pour en renforcer sa fragilité, sa vulnérabilité. Lui qui ne pourra jamais être elle a aussi une part de responsabilité et de culpabilité dans son malheur. Alors il porte sa parole à bras-le-corps, l’épaule, la soutient dans le récit de ce drame inévitable. Il offre au public un joyau d’interprétation qui trouve son essence dans l’écriture ciselée de Solenn Denis, à la fois tendre et saupoudrée de touches délicates d’humour. C’est une pièce intimiste où la parole a valeur de confession, de libération avec l’expression de ces instants où l’on sort de soi-même avec amertume et délicatesse. Ce n’est pas pour autant que l’on est frappé de folie.

Sandre c’est une performance démente pour un seul-en-scène poignant qui met en lumière le récit d’une mère en souffrance, avec beaucoup de sobriété et de retenue. Une sorte de Médée des temps modernes qui se raconte à travers sa vie de couple, sa famille, ses espoirs, ses désillusions, sa douleur, les trahisons et le silence. Le résultat est sublimement poignant sans excès de pathos et n’est que le constat d’un cœur qui palpite. Et puis « Sandre, c’est beau, même si ça n’existe pas ».


Sandre

Texte : Solenn Denis

Mise en scène : Collectif Denisyak

Scénographie : Philippe Casaban, Éric Charbeau

Interprète : Erwan Daouphars

Durée : 1h25, trajet en navette inclus vers la patinoire

  • Du 6 au 26 juillet à 13h45

dans le cadre du Festival d’Avignon OFF 2017

Lieu : La Manufacture, 2 rue des écoles, 84000 Avignon

Réservations : 04 90 85 12 71


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