Les Parisiens : pas « Pyre » pas mieux

En 2016, le directeur du Festival d’Avignon publiait son roman Les Parisiens. 600 pages et 80 personnages sont ici condensés dans une adaptation théâtrale qu’il met lui-même en scène. A l’image de son ouvrage, aucune surprise. Ceux qui ont détesté devraient avoir le même sentiment en sortant des cinq heures de représentation et pour ceux qui avaient déjà un avis plus nuancé, il en sera de même, à moins d’y aller avec la légèreté et l’insouciance d’un être jouissant d’une liberté totale d’opinion et de se laisser porter par le spectacle sans rien attendre en retour.

Les Parisiens d'Olivier Py © Lionel Jullien
Les Parisiens d’Olivier Py © Lionel Jullien

Le décor est celui de façades d’immeubles parisiens de type haussmannien. Une enseigne lumineuse surplombe l’ensemble au sol en damier noir et blanc, comme un plateau de jeu d’échecs : « Une étoile brille de nuit ». Cette étoile qui en deuxième partie « ne dit rien », c’est Aurélien, un jeune homme ambitieux. Metteur en scène, il s’est lancé corps et âme dans sa conquête de Paris. Il veut briller comme une étoile dans la nuit. Il a pour lui l’arrogance de sa jeunesse : « Je veux tout, le sexe, l’argent et la célébrité ». Il veut jouir de l’existence. Il n’a rien volé de sa comparaison avec Rastignac. L’électron libre, lumineux et désinvolte est ivre de vie, de sexe et de liberté. En conquérant du monde, il déploie une énergie vertigineuse à atteindre son but de devenir un artiste de la jouissance.

Dans la première partie, le rythme endiablé est celui de la comédie, déchirante d’humour. Après l’entracte, vient le temps de l’ennui. Certes c’est grossier et diablement drôle mais la mascarade finit par lasser. La farce queer où rien n’est tabou est une illusion sans transcendance de l’art. L’amour, la splendeur, la lumière et la gloire n’émerge jamais réellement. Le refus des normes et la jouissance de la liberté ne sont pas assez développés. Olivier Py veut combattre là où il n’existe pas de combat. Il verse dans un certain nombre de facilités et enfonce des portes ouvertes par des clichés. Sa révolution est avortée bien que symbolique théâtralement parlant. Nous avons la sensation d’assister à un spectacle superficiel en profondeur. La grande farce doublée d’une comédie caustique et dérisoire du point de vue politique et culturel se mue en parodie naïve du milieu parisien. L’hypocrisie théâtrale et les frasques décriées ne sont que des pavés dans la mare artistique. Le combat éternel entre le bien et le mal, la religion et la politique, le rêve et la réalité est une machine à détruire les âmes et Olivier Py semble s’y enliser. Son personnage rêve d’un sublime théâtral qui briserait le spectateur mais la pièce n’accède pas à ces ambitions en restant une poire de lavement qui vide l’esprit bien plus qu’il ne le nourrit.

Nous ne sommes pas, fort heureusement, au niveau « Pytoyable » de son Roi Lear en 2015 dans la Cour d’Honneur. Cependant, si la première partie des Parisiens se laisse regarder avec humour et divertissement, la seconde est clairement beaucoup plus ennuyeuse. Olivier Py fait passer bon nombre de messages et personne n’est épargné. Iris et Serena défendent le féminisme par un exhibitionnisme qui se veut révolutionnaire tandis qu’émerge une critique sévère à l’adresse du Ministre de la Culture qui est représenté par un personnage grotesque. La bourgeoisie est écorchée. L’esprit « putophobe » est très réussi en animant un carnaval, un théâtre qui donne le droit d’être constamment un autre que soi-même. Le parallèle entre l’art scénique et la prostitution est d’ailleurs fort intéressant, mais à prendre avec distanciation et non pour argent comptant. Très vite la divagation prétentieuse se voile afin de passer pour intelligente mais il n’en demeure qu’un pur divertissement.

C’est la seconde fois qu’Olivier Py adapte à la scène l’un de ses propres romans. Il dit lui-même que ce dernier opus est « un texte impossible à adapter ». Il a donc souhaité le faire lui-même, tel un défi, un chemin à tracer, à inventer vers un autre théâtre. Pour cela, il peut compter sur quelques acteurs forts talentueux pour porter ce projet. Jean Alibert est hilarant en Ministre de la Culture à la voix efféminée et Emilien Diard-Detoeuf est un Aurélien sensible qui nous touche parfois dans son envie de « manger des étoiles, des serpents rampants sous les pieds ». Mireille Herbstmeyer est incroyable en Jacqueline, dans son tailleur jaune poussin digne de la garde-robe de la Reine d’Angleterre. Quant à François Michonneau il excelle dans le rôle de Kamel tandis que Moustafa Benaïbout est une vieille pute rousse devenue cynique et bouleversante dans les vérités qu’elle livrent. Cependant, ça ne fait pas tout, n’aide pas à rendre possible quelque chose et surtout, ne gomme pas la forme de mièvrerie qui s’étale allègrement. Le spectacle est verbeux et la dualité d’une jeunesse débridée et contradictoire ne sauve pas le propos qui souffre de trop gros défauts. Nous sommes loin d’incendier le confort du spectateur et de le mettre dans un état qui échappe à toute sphère humaine. Nous sommes restés dubitatif d’un théâtre qui ne restaure pas la justice mais pompe l’existence du possible. Les portes du ciel ne se sont pas ouvertes et face au mur, il ne reste qu’un silence adressé à la miséricorde théâtrale qui, comme la voie lactée, est infinie. Excusez la familiarité mais au final, Les Parisiens c’est un peu comme un laxatif : au début ça détend, puis ça fait mal et ensuite ça fait chier.


Les Parisiens

Texte, mise en scène : Olivier Py

Scénographie, costumes, maquillage : Pierre-André Weitz

Lumière : Bertrand Killy

Distribution :

Francis Ferrier, le ministre de la Culture et Milo Venstein : Jean Alibert

Touraine, Gilda, Monsieur Martin : Moustafa Benaïbout

Serena, Mireille Verdier : Laure Calamy

Iris, l’infirmière : Céline Chéenne

Aurélien : Emilien Diard-Detoeuf

Alistair : Guilhem Fabre

Lucas, Eric : Joseph Fourez

Laurent Duverger, le père, Frère Dominique, Ulrika, Monsieur H : Philippe Girard

Jacqueline, Catherine : Mireille Herbstmeyer

Sarazac, Kamel : François Michonneau

Durée : 5h00 avec entracte

  • Du 8 au 15 juillet à 15h

dans le cadre du Festival d’Avignon

Lieu : La FabricA

  • Du 1er au 3 juin 2018

Lieu : Théâtre de la Ville-Espace Pierre Cardin (Paris)


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