Jardins suspendus : dans la délicatesse japonaise

Qui n’a jamais rêvé de s’échapper, ne serait-ce qu’un instant, de lui-même, d’un passé trop présent ou d’une vie qui ne nous convient plus ? C’est l’histoire de cet homme qui a fait ce voyage que raconte le spectacle Jardins suspendus, celui qui est parti sans rien dire, qui erre, hors de tout temps tangible. Dans la délicatesse d’un Japon omniprésent, le spectateur se laisse transporter dans un ailleurs qui n’appartient à aucune sphère spatio-temporelle.

Jardins Suspendus © Camille Entratice
© Camille Entratice

Mai est un « johatsu », un évaporé. Il a disparu du Japon sans laisser de traces. Néanmoins, l’inverse est faux puisque tout son corps respire cette culture. Il arrive à Paris dans un moment d’errance et rencontre trois femmes, d’âge différent. C’est ainsi qu’il va atterrir dans un cours de peinture. De cet acte fortuit résulte un monde intime où les rapports se tissent tout en ne créant aucun lien. Entre intimité, illusion, rêve et réalité, le quatuor évolue dans la fragilité d’un instant qui semble en suspension dans le temps, guidé par une ligne de conduite invisible qui convient que « quand c’est vide, il ne faut surtout pas remplir, sinon, on remplace le vide par le rien ». Ne jamais revenir en arrière, ce qui n’a pas de sens, mais toujours aller de l’avant, quitte à vivre en suspens.

Camille Davin aurait pu tomber aisément dans la caricature mais il n’en est rien. Si Romain Blanchard n’a rien d’un asiatique, il parvient tout de même à nous transporter et le décalage entre notre imaginaire et ce que nous avons sous les yeux est loin d’être rédhibitoire. Il est évidemment question de la perte de repères, caractéristiques des moments de doute durant lesquels nous devenons, nous-aussi, un « johatsu », c’est-à-dire un évaporé comme on dit au Japon. Jana Klein, Esther Marty Kouyaté et Daniela Molina Castro sont les trois femmes, peintres, qui prennent l’homme comme modèle et centre de leurs attentions : elles peignent, il pose et ils sont ensemble. Chloé, Ellen et Sarah nous donnent à voir l’invisible, à entendre l’inaudible et à saisir l’insaisissable de nos existences. Tandis que Léo Flank instaure une ambiance sonore, témoin de la sensibilité générale qui émane du plateau, Fumihiro Ueoka laisse trace de ces êtres qui, pour un instant fugace, ont permis de relier les instants suspendus qui les animent.

Dans ce spectacle, tout n’est que poésie, beauté, calme et volupté. Même si la deuxième partie souffre de quelques longueurs, les choses sont bien amenées et nous captivent. Un véritable voyage nous attend pour une destination où l’art concentre tous les pouvoirs. Nous sommes habités par des sensations fortes comme celles d’être étrangers à nous-mêmes. Troublant, le texte glisse comme une caresse sur notre peau pour mieux nous pénétrer. Imprégnés de cette délicate poésie, nous déambulons dans différents lieux, grâce à une scénographie mouvante et verdoyante, donnant un aspect chaleureux et réconfortant à ce qui nous déracine.

Jardins suspendus nous offre une vision à la fois singulière et délicate. Mêlant dessin en direct et théâtre, sans jamais se défaire de sa dimension évanescente, la pièce propose un émouvant voyage onirique, aux frontières floues comme nos plus beaux rêves, dans lequel nous plongeons avec une sensation de douceur salvatrice. Parfois, les choses simples sont les plus belles et le spectacle nous invite à prendre le temps pour profiter de toute la beauté qui nous entoure, avant qu’il ne soit trop tard. Le voyage nous mène à une bouleversante méditation contemplative, fragile comme une feuille, dans la réminiscence d’un rêve aux couleurs passées : un moment hors du temps et hors de nous qu’il faut absolument saisir en douceur, avec toute la sensibilité qui nous caractérise.


Jardins suspendus

Texte et mise en scène : Camille Davin

Avec : Romain Blanchard, Jana Klein, Esther Marty Kouyaté et Daniela Molina Castro

Live-painting : Fumihiro Ueoka

Durée : 1h20

  • Du 4 au 15 avril 2017

Du mardi au samedi à 21h15

Lieu : Théâtre de Belleville, 94 rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris

Réservations : 01 48 06 72 34 ou www.theatredebelleville.com


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