Scènes de violences conjugales : souffrances physiques et morales

Après un bref passage au théâtre Le Colombier de Bagnolet, la pièce Scènes de violences conjugales de Gérard Watkins a été donné en clôture de la Mousson d’été 2016 par le Perdita Ensemble avant de s’installer à la Tempête à partir du 11 novembre prochain. C’est un véritable choc qui nous attendait ce soir-là avec une écriture qui prend aux tripes et qui nous bouleverse au plus profond de notre âme. Retour sur un coup de cœur thématique et théâtral.

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© Emile Zeizig

Rachida est une jeune femme de la cité. Elle fait la connaissance de Liam, qui galère dans la vie. Annie est une femme anxieuse qui sympathise avec Pascal sur le quai du RER D durant une alerte de colis suspect abandonné. Deux scènes de rencontre urbaine qui se poursuivront en histoire d’amour que nous suivons en parallèle. Chaque couple s’installe et forme dorénavant un foyer, une cellule rassurante et complémentaire. Ils tentent de construire, de se construire, passant d’une solitude à un altruisme inévitable. Mais très vite, des tensions verbales apparaissent dans chaque relation et puis c’est l’escalade, l’engrenage, jusqu’aux violences physiques, humiliations et autres brimades en tout genre. Jusqu’ou cela ira-t-il pour ce quatuor en souffrance ?

L’écriture de Gérard Watkins est d’une justesse incroyable. A  l’aide d’ellipses temporelles, nous progressons rapidement dans l’intrigue et la tension dramatique se met en place, soulignée par la présence de Yuko Oshima à la batterie. Les mots contemporains, glissent sur le plateau et nous atteignent en plein cœur comme une lame de couteau au cœur d’une rixe verbale sans appel. Le dispositif tri-frontal permet de placer le spectateur dans la position de témoin sans pour cela tomber dans le voyeurisme malsain. Nous pénétrons une intimité tabou avant de poser un regard proche d’un juré au tribunal, mais toujours avec bienveillance. Les deux couples subissent, on leur impose cette violence. Le besoin de protection se mêle au désir de possession et la spirale infernale plonge les quatre protagonistes dans un engrenage puissant dont il est bien difficile de s’extraire. Malgré quelques (petites) longueurs, nous sommes happés par l’histoire, par la conviction des acteurs et la description, parfois insoutenable, d’une violence physique, morale et psychologique où la torture n’est jamais très loin. Mais finalement, « ça veut dire quoi l’amour si c’est pas là, tout de suite, maintenant ? ».

Hayet Darwich, Julie Denisse, David Gouhier et Maxime Lévêque diffusent avec talent une parole qui se doit de se propager au plus grand nombre. Leur incarnation est bouleversante car naturelle. Nous en oublions presque par moment que nous sommes au théâtre, que tout cela est fictif tant la réalité semble transparaître dans chaque mot, geste, attitude. Ils sont parfaitement dirigés sur le plateau et vont à l’essentiel, traduisant ainsi l’urgence d’une parole libérée et libératrice. Ils portent en eux toutes les traces de ce que leur personnage a vécu et nous restituent un ensemble d’une qualité exceptionnelle. Le spectateur, parfois proche du malaise, développe une empathie naturelle envers les victimes, ces deux femmes dont le récit est particulièrement bouleversant. Pendant ce temps, l’ambiance sonore se fait anxiogène et en vient même à gêner les mots, bruts, tranchants, qui se suffiraient d’eux-mêmes. Comme le rappelle le psychiatre, les victimes ont souvent en eux des souffrances qu’ils n’ont jamais soignées. Il faut donc l’accepter, se comprendre, sans jugements, accepter ses fragilités, les reconnaître, se battre… « C’est parce que vous être forte et courageuse que vous pouvez accepter d’être fragile » mais lorsqu’on vous a « massacré la tête et le corps » il semble bien long et sinueux le chemin de la reconstruction. La thérapie peut être une solution pour s’expliquer, comprendre, reconnaître la vérité en mettant des mots sur des sensations mais cela implique de revivre des événements traumatisants.

Il y a quelques mois, le téléfilm L’emprise, adaptation de l’histoire vraie d’Alexandra Lange relatée dans son livre Acquittée, nous rappelait de terribles chiffres : 150 femmes meurent chaque année sous les coups de leur conjoint et 80% des victimes ne portent pas plainte. Par son écriture réaliste et puissante, Scènes de violences conjugales libère une parole, celle d’un enfer vécu la plupart du temps dans le silence doublé d’un sentiment de culpabilité. Il ne faut pas oublier que tout le monde peut se retrouver confronté à une situation semblable, peu importe notre sexe, notre milieu social, notre parcours de vie. Si l’amour rend aveugle, la souffrance peut en être le résultat. Un texte nécessaire comme un cri d’urgence poussé dans la nuit pour que chacun se souvienne que cela existe encore et toujours dans notre société, pays des droits de l’homme et des libertés, même si ce tabou peine à briser les chaines du repli sur soi et de l’isolement.


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