Le ciel est par terre : des vies ratées

La pièce Les Présomptions de l’auteur français Guillaume Poix avait été sélectionnée à la Mousson d’hiver 2013. Il revient cet été avec Et le ciel est par terre, une lecture qu’il dirige lui-même, au pupitre, rendant aux mots la place primordiale qu’ils occupent à la Mousson et faisant entendre, sans artifice, sa pièce où s’aimer n’est que souffrance quand on ne parvient à se le dire. Une sobriété salutaire pour un texte poignant sur des vies qui s’effritent autour des thèmes de la perte et de la reconstruction.

et le ciel est par terre
© Emile Zeizig

En ce mois d’août, une famille s’apprête mais le cœur n’y est vraiment pas car ce ne sont pas les vacances estivales qui arrivent. C’est aujourd’hui l’enterrement du père. Ne restent alors que la mère, son fils et ses deux filles. Mais il est bien difficile de vivre et de se construire lorsque tout est voué à ne plus être sous peu de temps, jusqu’au quartier où ceux qui subsistent demeurent. En effet, l’environnement résidentiel est en passe de démolition. Les mois et les saisons défilent et à défaut de s’aimer, continuer de lutter est la seule raison de vivre de ce foyer en perdition.

Et le ciel est par terre de Guillaume Poix est un texte centré sur une écriture du quotidien qui prend sa source dans le cercle familial. Si l’une des filles semble particulièrement discrète et mal dans sa peau (à cause de ses proportions) bien qu’elle serve de confidente imposée à la famille, le personnage de la mère est creusé à la perfection. C’est le rôle dont s’est emparée l’excellente Anne Benoit. Passant son temps à tout critiquer, jusqu’à la « décoration » de la tombe de son mari au cimetière pour laquelle personne ne lui a demandé son avis, elle entend bien régner en tyran sur sa famille. Le personnage est acerbe, abject avec un langage incisif composé de répliques corrosives. Elle ne mâche pas ses mots : « J’ai trois bouches à nourrir et trois bouches qui m’emmerdent » tandis que les fêlures du fils tentent d’émerger du chaos. Mais comment se construire lorsque tout autour de nous est voué à la démolition ? La mère tyrannique emporte néanmoins notre empathie lorsque nous comprenons les raisons d’un tel comportement. Le constat est amer, désolant puisque c’est bel et bien le manque d’amour le moteur des relations entre les membres de cette famille. Un amour tacite qui ne s’exprime que dans une lutte sans merci.

Alors les saisons passent, les mois s’égrainent, les trêves se font rares car artificielles, comme lorsque la mère propose un soir de réveillon de Noël au mois de février. Mais qu’est-ce qu’un répit dans une vie de souffrance ? Le besoin irrépressible pour une fois de lâcher prise et faire comme tout le monde se fait de plus oppressant autour du champ de ruines que constituent leurs existences. Et Le ciel est par terre est comme un grand cri d’amour poussé depuis le haut d’une tour. « Bientôt, on n’aura plus de vue » dit l’un des membres au moment où l’échéance de la destruction de l’immeuble d’en face devient imminente. Alors, ne restera qu’un vaste chantier, celui de toute une vie à reconstruire sur des ruines qu’il faudra consolider afin d’en faire une base solide sur laquelle ériger un avenir.


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