Richard III (Loyaulté me lie) : les pantins de la folie

Dans le cadre de la 19ème édition du Festival Les Composites, l’Espace Jean Legendre de Compiègne accueille sur son plateau Richard III (Loyaulté me lie), l’une de ses coproductions, où Jean Lambert-wild incarne la fureur et la folie, les deux faces du roi shakespearien pris dans l’ivresse du pouvoir tant espéré.

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© Tristan Jeanne-Valès

La pièce d’origine raconte l’ascension sanguinaire et la chute brutale, véritable déchéance, d’un roi tyrannique. Dans son esprit aveuglé, comme au jeu du tir à la carabine, Richard III doit éliminer au plus vite tous ceux qui se mettent en travers de son objectif : le pouvoir absolu.  « Richard aime Richard, c’est-à-dire moi et moi » dit-il avec lucidité. Jean Lambert-wild, actuel directeur du CDN de Limoges, propose une lecture, ou plutôt une incarnation, d’après l’œuvre de Shakespeare qui trouve ici une expression fluidifiée, épurée et accessible de son texte. Il fait réentendre les mots du dramaturge de manière plus intime, plus personnelle, sous le regard adouci d’un clown malheureux de lassitude évoluant sous le masque du double dans une scénographie enchantée que le metteur en scène cosigne avec Stéphane Blanquet, lui-même concepteur de l’armure en porcelaine de Limoges du personnage central et narcissique qui fait son entrée devant la console d’un loge d’artiste du monde du spectacle d’antan, avec de grosses ampoules encadrant le miroir. Comme dans une maison hantée, nous ne savons jamais vraiment quel fantôme va surgir, ni de quel endroit exact du castelet en trois parties qui s’anime comme une boîte malicieuse et magique avec des trappes qui font apparaître ou disparaitre choses et personnes au gré des envies du maître qui dirige tout cela d’une main de fer.

L’histoire de Richard III est plutôt connue. Pour ceux qui ont souvent été au théâtre cette saison, au moins deux versions très différentes auront attiré les regards : celle de Thomas Jolly, à l’esthétique travaillée mais souvent excessive et celle d’Ivo van Hove qui, dans Kings of War, confie le rôle au démentiel acteur Hans Kesting qui devient un roi sanguinaire et tyrannique plus vrai que nature. Ici, Jean Lambert-wild prend le parti pris, osé mais payant, de faire de son Richard III un clown, sorte de Pierrot lunaire, qui fait son numéro dans un théâtre fou, reflet évident d’un Moi absolu qui sombre. Comme l’acteur, Richard III est Je et un Autre, un Moi déguisé, enfoui sous des apparences. L’idée est prodigieuse. A ses côtés, Elodie Bordas est époustouflante et endosse le rôle de la myriade de personnages qui gravitent et évoluent autour de Richard III. Le duo n’hésite pas non plus à user de procédés technologiques et à projeter des personnages sans réelle consistance sur des ballons de baudruche, des barbes à papa ou de simples bouts de chiffons servant à faire une marionnette supplémentaire dans le théâtre mental d’un roi assoiffé de destruction. Dans une ambiance de fête foraine, semblable à la vision spectrale que nous avons en prenant place dans le train-fantôme, c’est tout un petit monde qui s’anime sous nos yeux grâce aux séquences imagées qui se succèdent comme lorsque l’on tire les ficelles des marionnettes qui prennent vie dans un castelet, lieu des illusions et des frontières troubles entre réalité et onirisme. C’est l’esprit dérangé de Richard III qui manipule chaque apparition et n’hésite pas à canarder le public à grand coup de friandises comme pour attendrir le spectateur.

Le duo d’acteurs déploie un talent non dissimulé et une très large palette de jeu. A la fois intrépides et ingénieux, ils font merveilles. Jean Lambert-wild joue ici la carte de l’originalité et parvient à se démarquer avec un Richard III plus proche de nous et de notre ressenti psychologique en nous amenant à une réflexion sur le théâtre et ses pouvoirs. Qu’est-ce qu’aujourd’hui la loyauté sur un plateau ? Où s’arrête l’honnêteté lorsque l’on joue à être un autre ? Autant de pistes pour une très belle réussite qui utilise tous les artifices du théâtre, à suivre en tournée qui passera par Cergy-Pontoise en mai prochain avant de s’installer un mois à Paris à l’automne 2016.


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