Espaces vides au milieu de corps lumineux : l’exil théâtral

Après une première lecture à La Loge de Paris la semaine précédente, le texte de Gabriel de Richaud a été présenté aux Mains d’œuvres de Saint-Ouen dans une mise en espace lumineuse signée Rebecca Chaillon, à l’initiative du Label Jeunes Textes en Liberté.

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Le texte de Gabriel de Richaud a été écrit pour une performance et répond parfaitement au thème de la frontière, fil conducteur de tous les événements qui auront lieu entre janvier et juin 2016, dans des lieux théâtraux ou pas, à Paris ou en région, à l’initiative du Label Jeunes Textes en Liberté. « Je suis en exil, constamment, depuis si longtemps ». C’est ainsi que débute le texte fort et percutant, suivi d’une fabuleuse définition, comme une leçon de vie : « Un voyage exige un retour. Sans retour, un voyage est un exil ». Abordant la difficulté d’avancer, celle de revenir en arrière puisque « je pars d’un point A vers un point B et le retour est impossible, la lecture polyphonique mêle différents protagonistes dans une belle mise en abyme théâtrale où « en dehors du temps rien n’est ». Certaines phrases reviennent à intervalle régulier comme si rien ne pouvait continuer dans cet Eden perdu où « toute parole dans un espace le dénature » au sein de ce cheminement, de cet exil du devenir.

« Une lumière formidable traverse l’espace ». Voici comment intervient ponctuellement la figure du metteur en scène. Et justement, Rebecca Chaillon met en espace ce texte de manière lumineuse, éclairant des choix assumés et des partis pris dans un écrit complexe mais puissant, avec des mots-clés projetés à l’écran. Ainsi, une dynamique se crée et l’émotion affleure, notamment par le dialogue public/voix off sur un massacre de jeunes et la projection finale d’un texte qui nous pousse inévitablement à la réflexion : « En 2010, on estimait à 214 millions le nombre de migrants dont 15,4 millions de réfugiés ayant fui des conflits armés, des désastres naturels, la famine ou la persécution. Si on les mettait tous ensemble, sur un même territoire, ce serait le 5ème état le plus peuplé du monde. ».

Ce qui intéresse Gabriel de Richaud, l’auteur, ce sont tous les signes de la représentation théâtrale. Dans son écriture, il n’y a que 10% du texte que l’on pourrait entendre, les 90% restants étant ce que l’on pourrait juste voir, son texte étant particulièrement descriptif, imagé, parlant. A l’instar de sa mise en page très soignée, Espaces vides au milieu de corps lumineux est une sorte de déambulation d’images axée sur l’évocation qui s’appuie sur une sorte de reconstruction narrative, telle un rêve auquel il ne resterait que des bribes au réveil, le tout à interprétation multiple. Véritable théâtre mental destiné à tirer quelque chose à soi, il n’y a pas de réelle histoire mais plutôt une idée de souvenirs, d’anecdotes qui feraient surgir dans le présent quelque chose de lointain.

Même si le texte peut sembler déroutant, il s’adresse à tous puisque nous avons la capacité de rêver et de nous créer des images intimes. L’expérimentation de la parole poétique sur le spectateur fonctionne parfaitement en créant un lien entre l’intelligible et le sensible et en insistant sur la scène comme territoire d’écriture où la littérature ne doit en aucun cas s’excuser d’exister devant le plateau. C’est beau et puissant de voir le pouvoir évocateur des images, mots, sons et corps, à la frontière de notre conscience bercée par le texte d’un jeune homme qui a acquis une belle maturité dans le domaine des possibles de la représentation.


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