Gainsbourg For Ever : une éternelle gueule d’amour

Il n’y a que dans les pages glacées des revues ou dans les films à l’eau de rose que seuls les hommes répondant aux critères de la beauté parviennent à séduire de jolies femmes. Dans la vie réelle (sauf pour de rares exceptions), la séduction et l’attraction passent par le ressenti, les vibrations. Pour Serge Gainsbourg, cela explosait dans ses compositions. Dans une sorte de biographie théâtrale et musicale créée le 2 avril 2017 pour les 89 ans de sa naissance, Myriam Grélard feuillette en chansons et en récit, avec tendresse, l’album de famille d’un artiste, d’une gueule d’amour qui restera pour l’éternité une légende !

Myriam Grélard est toutes les femmes de la vie de Gainsbourg For Ever © Jacquie Dirien
Myriam Grélard est toutes les femmes de la vie de Gainsbourg For Ever © Jacquie Dirien

Serge Gainsbourg, né Lucien Ginsburg, l’homme à la tête de chou, complexé et timide malgré un véritable succès auprès des plus belles femmes, à marquer les esprits de milliers de gens. Aimer, c’est avec le cœur et non avec les yeux. D’ailleurs, Antoine de Saint-Exupéry ne disait-il pas que « l’on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux » ? Il semblerait qu’il en soit ainsi pour lui. Nul ne peut expliquer comment mais le résultat est là : ce sont les femmes qui ont fait de lui un éternel charmeur. De lui, on connait les frasques et l’arrogance, le cynisme et les éclats. Avec Gainsbourg Forever, on découvre une autre facette, plus douce, plus touchante. Il émane du plateau la sensibilité du poète qu’il était, la vulnérabilité du romantique qu’il masquait. Pendant l’installation du public, nous reconnaissons la voix de France Gall, de Jane Birkin, celle de Brigitte Bardot… Evidemment, elles sont déjà celles qui marqueront au fer rouge son existence. Sur le plateau, sa silhouette à lui est également là, dans le costume enfumé et suspendu. Ce qu’il nous reste aujourd’hui de lui, c’est pour l’instant cette chaise vide au centre et une valise un peu en retrait, c’est-à-dire l’absence et les souvenirs entassés, enfermés et gardés précieusement.

Appuyée à une canne, la démarche d’une femme sur talons hauts, courbée par le temps, apparait. Emmitouflée dans un manteau chaud, elle s’avance. C’est Liliane, la jumelle de Lucien. Avec une certaine mélancolie et des pointes de tristesse, elle évoque la précision des doigts de Joseph, son père, un grand pianiste. Prenant place sur la chaise, elle poursuit le récit du rêve du musicien : « le destin semble lui sourire ». Il rencontre alors une infirmière chanteuse, une mezzo soprano. Ils filent le parfait amour, se marient en 1918 mais il faut fuir à tout prix donc ils embarquent pour Constantinople avec en ligne de mire Paris, la ville lumière, le lieu de la liberté ! Tandis que Tristesses de Chopin se fait entendre, Myriam Grélard met un fichu et elle incarne Olia, la mère, mettant au monde Jacqueline. Puis une seconde grossesse voit naître deux bambins le 2 avril 1928 : Liliane et Lucien. « Le piano a bercé chaque jour de notre vie » confie-t-elle. Avec elle, on reprend le fil du temps pour un voyage vers le passé où chaque élément de la scénographie est un détail de l’histoire de la vie de celui qui décide, une fois embauché au Cabaret de Madame Arthur, que Lucien fait trop coiffeur donc désormais il s’appellera Serge car cela sonne bien et cela sonne russe. Le petit garçon grandit auprès d’un père autoritaire et exigeant. Lui qui se trouvait laid, complexé par ses grandes oreilles, il trouve des moments d’évasion mais c’est surtout à la Libération, lorsqu’il rejoint Paris, que Lucien se met à peindre sans cesse, voulant atteindre « le génie des grands maîtres ».

Serge Gainsbourg n’est jamais satisfait de lui. Il compose avec son instinct mais pianiste de bar au Touquet, il commence par se créer un répertoire. Sa sœur dira de lui que « comme papa, ses doigts se promènent inlassablement sur le clavier », ces touches noires et blanches qui se retrouvent discrètement sur le montant de la chaise ou sur le porte-manteau servant à suspendre son costume. La représentation, très documentée, porte un regard tendre et bienveillant, comme celui d’un double, d’une jumelle qui observe ce frère si mystérieux, si discret qu’il semblait vivre dans sa sphère. Serge a un talent hors-pair mais comme de nombreux artistes, il est un génie qui s’ignore. Alors il compose pour celles qui le fascinaient, pour les femmes et « le temps d’une chanson, c’était magique ». Défendu par Boris Vian, il écrit pour Juliette Gréco (La Javanaise), Edith Piaf qui malheureusement décède avant que la chanson qu’elle lui avait demandée ne voit le jour, Brigitte Bardot, Jane Birkin… Il compose pour France Gall qui n’a que 17 ans, qui aime son style et gagne grâce à lui l’Eurovision le 20 mars 1965 avec Poupée de cire, poupée de son. C’est alors la consécration. Il travaille d’arrache-pied et « toutes les femmes rêvent d’une chanson écrite par Gainsbourg ». Au départ de celle qu’il aime mais qui n’était pas libre, il fait une dépression et donne naissance à Je t’aime moi non plus. La gueule d’amour est admirée jusqu’au vertige et vit « un amour comme on en rêve une fois dans sa vie ».

L’âme de poète de Serge est parfaitement transcrite dans un texte lumineux. La comédienne-chanteuse incarne toutes les femmes de la vie de Lucien, de Serge, de l’éternel homme à la tête de chou ! Pour sortir de sa déprime, Pierre Grimblat lui propose un rôle dans son film. Dès lors, « il n’était plus laid, il avait une gueule ». C’est la rencontre avec Jane. Ils vivent un amour fou, ils sont inséparables. Elle lui confectionne un look pour lui « sculpter le visage » et lui achète sa première paire de Repetto. Le 21 juillet 1971, Charlotte, « sa petite merveille », voit le jour, « une orchidée déguisée en ortie ». Il profite alors des années les plus gaies et les plus légères de sa vie avant une première crise cardiaque qui lui rappelle inévitablement qu’il n’est qu’un être humain, un grand enfant, un clown. Son couple russe-anglais devient un cocktail explosif qui fait partir en fumée sous les effluves d’alcool douze années de bonheur. C’est la rupture, la déchéance.

Dans la fumée qui faisait partie intégrante de sa vie et sous des lumières bleues, « tous les amours se meurent » et la noirceur qu’il aimait tant s’empare de nous. Il y a sa voix, quelques photos que nous regardons avec tendresse tandis que l’alcool noyé dans les vapeurs de gitanes se fait entendre. Celui qui a fait couler tant d’encre, aura la chance de naître une seconde fois en 58 ans puisque Bambou donnera naissance au petit Lucien en janvier 1986 : « en sauvant une vie j’ai donné une vie » dira-t-il. Mais personne ne viendra le sauver lui et le 10 mars 2016, rue Chaptal, dans le 9ème arrondissement de Paris, Charlotte et Jane dévoilaient la plaque commémorative devant de nombreux admirateurs : « oh je voudrai tant que tu te souviennes… et ce jour-là, mes amours mortes n’en finissent pas de mourir ». Lui qui voulait tant rejoindre Arthur Rimbaud qui pensait que « c’est dans ses rêves que l’homme trouve la liberté », il nous laisse quelques larmes de nostalgie mais sa carrière, son œuvre et l’être qu’il était ne disparaîtront pas de nos cœurs et jamais ne vont mourir. Alors, après avoir écouté en boucle tous les hommages de Serge Gainsbourg aux femmes de sa vie, et si nous allions voir l’hommage que Myriam Grélard lui rend dans un seule-en-scène fascinant, un peu magique, alliant la pudeur à la tendresse, l’émotion à la sincérité ? Le tout, évidemment, avant que cet artiste en eaux troubles ne vienne nous dire qu’il s’en va au vent mauvais… Néanmoins, depuis un quart de siècle qu’il nous a quittés, il nous procure toujours un petit frisson d’immortalité et restera à jamais une légende !


La rédaction a assisté à la représentation du mercredi 28 novembre 2018


Gainsbourg Forever

Texte : Myriam Grélard

Mise en scène : François Cracosky

Création lumières : Yves Monnier

Montage son, vidéo : Philippe Fleury

Distribution : Myriam Grélard

Durée : 1h20

  • Du 28 novembre au 19 décembre 2018

Le 19 décembre à 21h30

Lieu : Théâtre Trévise, 14 rue de Trévise, 75009 PARIS

Réservation : 01 48 65 97 90 ou theatre-trevise.com


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