Prison Possession : dans la solitude des champs des mots

François Cervantes a eu carte blanche pour travailler avec des détenus. En visitant la prison, il interroge le bibliothécaire qui lui confie que les prisonniers lisent de la poésie ou des autobiographies mais n’empruntent pas de fiction. Il se met en tête d’en écrire une et commence une correspondance avec des hommes privés de liberté. Très vite, Erik se détache du lot et va pouvoir s’évader grâce à cette relation épistolaire qui permet également à l’auteur d’apprendre à parler. 

Prison Possession © Mélania Avanzato
Prison Possession © Mélania Avanzato

François Cervantes a des allures de Roland Magdane, physiquement et émotionnellement parlant. Né le 14 août 1959, il n’est pas spécialement atteint par les mots au creux de l’appartement familial de Tanger. Il part pour la France. À treize ans, il se relève la nuit pour écrire, cherchant « les mots qui correspondent » à ses émotions. Et la rencontre avec Erik agit comme une révélation. Il devient obsédé par le lieu qui paralyse son imagination. Sa correspondance peut-elle lui permettre de comprendre la prison ? Le plateau est nu. Un faible halo de lumière enferme la silhouette de François Cervantes. Il nous offre sa parole, celle traduisant les années qui passent, le monde qui change et ses tentatives pour parler. Le ton de sa voix est mal assuré, comme un enfant qui apprend à marcher. Lui, il en est au stade des balbutiements de la parole, la vraie, celle qui ne consiste pas seulement à aligner les mots dans des phrases. Mais il est là, aujourd’hui, devant nous, à composer un texte pour ceux qui sont « seuls, amputés de leur lien avec l’humanité ». Il évoque avec pudeur et justesse le traitement inhumain de l’espace carcéral. Même les animaux sont mieux considérés que les détenus : « Brigitte Bardot devrait s’occuper d’eux ».

Très vite, l’écriture du spectacle se dessine mais Erik ne peut être là, sur le plateau, parce qu’il « n’en a pas le droit ». Qu’à cela ne tienne, François Cervantes le fera exister. Il n’occulte rien de la réalité. C’est alors que l’émotion s’installe, en douceur, sans faire de bruit. Elle nous cueille délicatement, au détour du récit. L’évasion, la cavale, la rechute, l’isolement. Car la prison n’est pas uniquement les murs qui dessinent un espace de promiscuité, c’est avant tout la solitude, où les jours sont égaux jusqu’à en perdre la notion du temps. Par l’écriture, Erik s’évade de son propre corps. Il parle à travers François. Le ton change, les mots nous transpercent, n’expriment aucun pathos mais nous dévastent. Dans une tension palpable, l’émotion prend place avec une sincérité et une intensité qui emportent tout sur son passage. Le rectangle lumineux s’élargit comme l’horizon du prisonnier avant qu’il ne s’élance pour voyager sur les ailes des mots. Erik n’a qu’une prière qu’il adresse à François : « qu’il écrive, lui, qu’il essaye de trouver ces mots que l’on n’entend pas […] qu’il écrive ce texte et qu’il me mette dedans ».

Prison Possession nous laisse immobiles, dans le même silence que l’écrivain qui compose sa partition de mots. Les spectateurs, attentifs, sont à l’écoute de cette parole naissante. La solitude du détenu devient la nôtre. « C’est comme un baiser que l’on ne donnera pas, qui manque et qui brûle ». Mais déjà nous ouvrons les portes de nos consciences. Comme un fugitif, nous sommes hors d’atteinte, en larmes, sur le rivage du texte qui vient de nous gifler. C’est l’évasion d’un homme et d’un spectateur « dans un texte, là où personne ne pourra plus venir » les chercher.


Prison Possession

Texte : François Cervantes, à partir d’une correspondance avec Erik Ferdinand

Assistanat : Catherine Germain et Xavier Brousse

Regards : Georges Appaix et Stephan Pastor

Son et régie générale : Xavier Brousse

Scénographie : Harel Luz

Construction des décors : Christian Geschvindermann et Arnaud Obric

Dispositif lumière : Le Nomade Village

Avec : François Cervantes

Durée : 55 minutes

  • Du 30 janvier au 4 février 2018

Mardi, mercredi et vendredi à 20h

Jeudi et samedi à 19h

Dimanche à 16h

Lieu : La Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 PARIS

Réservations : 01 47 00 25 20 ou www.maisondesmetallos.paris

  • Du 6 au 28 juillet 2017 à 12h25

dans le cadre du Festival OFF d’Avignon

Lieu : 11 – Gilgamesh Belleville

Réservations : 04 90 89 82 63 ou www.11avignon.com


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