Kamyon : décollage immédiat

Pour lancer le Festival Traversées du monde arabe proposé par Le Tarmac, scène internationale francophone du XXe arrondissement de Paris, qui se tient du 21 février au 31 mars, c’est un spectacle hors les murs, écrit et mis en scène par Michael De Cock qui nous met sur le chemin de l’exil avec Kamyon, un seule-en-scène touchant qui nous fait voir l’errance avec des yeux d’enfant, le tout embarqués dans un camion installé place de la Réunion jusqu’au 25 février 2017.

kamyon
© Christophe Pean

La comparaison est certes un peu facile mais c’est entassés comme des migrants clandestins dans la remorque d’un camion que la trentaine de spectateurs assis sur des bancs de bois clair part en voyage. Des airs d’accordéon nous accueillent et nous invitent à monter à bord comme on entre dans une taverne russe. Et d’un coup, le silence, le noir, comme si la vie extérieure n’était plus qu’un lointain souvenir. Une petite fille prend la parole, elle nous offre son goût pour l’astronomie, distance nécessaire pour son âge afin d’appréhender une décision que ses parents lui impose : il faut partir. Nous ne savons pas bien d’où elle vient, peut-être de Syrie, ou d’ailleurs, mais d’une ville bâtie sur une colline. Et puis un jour, est arrivé ce choix terrible, celui de devoir emporter un seul de ses petits compagnons de jeu et glisser toute sa vie dans deux petits sacs. « Choisir c’est renoncer : on renonce à ce que l’on n’a pas choisi » dit-elle avec lucidité. Commence alors son errance, vers un autre destin, un autre chez-elle.

Kamyon pose un regard tendre et empathique sur l’immigration clandestine en proposant de voir le monde et la réalité à travers les yeux d’une enfant dont le questionnement en ébullition la porte vers de nouveaux horizons à découvrir. De plus,  se dissimule en filigrane la peur de l’inconnu mais aussi ce et ceux que l’on laisse derrière soi pour découvrir ce qui se trouve devant. D’ailleurs, le final, très émouvant, sera cette ouverture sur un monde nouveau, un environnement à apprivoiser. En attendant, c’est dans une scénographie colorée que nous faisons connaissance avec une petite fille qui s’imagine à bord d’un vaisseau spatial. S’inspirant de son manuel du cosmonaute courageux, elle nous plonge avec délice dans un univers intime où se mêlent réel et imaginaire. De la discussion avec ses parents avec l’annonce du départ et de ses contraintes, au dialogue avec Dada, un vieux cheval au propos philosophique, l’enfant, championne du silence et du jeu du cache-cache, tente de dompter ses peurs.

Sur scène, Jessica Fanhan est d’une justesse inouïe et d’une sensibilité à fleur de peau. Au milieu des caisses ajourées de plastique multicolore, elle traverse l’Europe avec comme destination la terre promise et nous fait revivre son périple grâce aux mots de Michael De Cock. Elle incarne également sa mère, son père ou encore Moustache, le passeur. Comme un jeu de Lego®, elle empile les pièces colorées, décor unique de ses souvenirs, ceux qu’elle a dû laisser derrière elle. La mise en scène, très précise, fait naître une tendresse poignante qui entre en contraste avec la violence du monde extérieur et de l’exil qui lui fera suivre la route du ver à soie, menant de là où le soleil se lève jusqu’à là où il se couche. L’innocence et la naïveté dues à son jeune âge s’estompent progressivement. Mais finalement, « ils viennent d’où les rêves ? ».p

Avec Kamyon, spectacle itinérant qui fait vivre l’immigration clandestine de l’intérieur, Michael De Cock nous transporte dans un univers réaliste où la détresse est monnaie courante. En adoptant le point de vue d’une petite fille pour diffuser un récit profond et juste, il fait vivre aux spectateurs une expérience de l’intime qui résonne tragiquement avec l’actualité de notre monde et nous emporte totalement. Une belle réussite que ce décollage immédiat vers un ailleurs meilleur.


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