Tabaski : expulser le sacrifice

Les mises en espace du Label Jeunes Textes en Liberté se poursuivent mais ne se ressemblent pas. Ce mois-ci, nous avons rendez-vous au Théâtre de Belleville pour Tabaski, écrit par Marine Bachelot Nguyen qui raconte dans une œuvre très courte,  le triste périple d’un expulsé de France où comment être sans papiers revient à dire que l’on n’est plus.

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Pour ceux qui n’auraient pas suivi ce qu’est le Label Jeunes Textes en Liberté, rappelons qu’il est né de la volonté de Penda Diouf et Anthony Thibault de promouvoir la représentativité de la diversité sur les scènes de théâtre, suite à un débat houleux à La Colline l’an passé. Placée sous le thème de la frontière, réelle ou fictive, cette première édition vise à faire entendre des textes peu ou pas édités, dans des lieux théâtreux ou non. Sur le plateau, ils sont quatre acteurs, réunis sous les idées de mise en espace de Laëtitia Guédon. Cependant, ce jour-là, Jean-Christophe Folly ayant eu un ennui de santé, il est remplacé au pied levé par la jeune femme. Question diversité, nous sommes en plein cœur de la volonté du label : une auteure eurasienne, une femme metteure en scène et sur le plateau, un acteur maghrébin, un acteur et un musicien noirs, une actrice blanche… Et tout ce petit monde donne à entendre les mots de Marine Bachelot Nguyen dont l’écriture fluide et précise constitue un réel plaisir auditif.

Tabaski, c’est l’histoire d’Issa, un malien qui est de retour à Bamako. Il est libre mais vient d’être expulsé de France où il était venu tenter sa chance. Mais sans papiers, il n’a pas accès aux droits de l’Homme alors il a dû prendre, contraint et forcé, le vol d’Air France de 20h50. Ousmane, qui travaille à l’AME (Association des Maliens Expulsés) le prend en charge avant qu’il ne décide de retourner au village. Là-bas, il est accueilli en héros par tous ceux qui pensent qu’il a fait fortune en France. Pour Tabaski, fête de l’Aïd en Afrique de l’Ouest, c’est un peu le retour de l’enfant prodige. Mais la déception fut grande pour les parents lorsqu’ils comprirent qu’Issa n’a pas ramené de mouton et surtout qu’il a été expulsé de France. Pour ces derniers, cela signifie forcément qu’il a fait quelque chose de mal mais pour le jeune homme, c’est juste l’opportunité d’avouer qu’il a échoué. Alors il se propose en sacrifice humain mais ses proches le chassent : « Tabaski aujourd’hui n’est pas pour toi ». Tentant de repartir en France, mais n’ayant toujours pas de papiers et donc pas le droit de fouler le sol où il se trouve, il finira par se suicider dans le hall des départs de l’aéroport, où « son corps est en zone d’attente, suspendu ». Personne ne se souvient de son nom, et personne ne pourra garder en mémoire une trace de son bref passage sur Terre.

Le texte de Marine Bachelot Nguyen s’inscrit comme un véritable témoignage d’une déshumanisation. Issa incarne le sacrifice d’une promesse, celle de passer la frontière pour s’en sortir et de porter en soi tout l’espoir d’un village. Il s’agit d’insister sur l’urgence des situations irrégulières en France notamment. Un sujet d’actualité brûlante concentré dans un texte très court : sans papier, sans identité « physique », peut-on exister ? Sommes-nous encore un être humain lorsqu’on est incapable de prouver qui l’on est et que la société tend à nous animaliser ? Autant de questions qui méritent une profonde réflexion sur le sort des émigrés. Sur le plateau, les acteurs proposent une lecture vivante et très fluide. Anne Massoteau est particulièrement expressive et convaincante. Elle apporte même une jolie touche d’humour en prenant en charge les paroles maternelles. Yassine Harrada apporte de la couleur au fragile Issa et nous touche fortement. Assane Timbo, qui avait mis en espace le texte précédent, Le Voyage d’Amadou de Michel Gendarme, est toujours autant à l’aise dans les autres prises de parole qu’il partage avec Laëtitia Guédon. Cette dernière prend quelques libertés avec le texte et offre une très belle ambiance musicale grâce au talent de Blade.

Grâce au Label Jeunes Textes en Liberté, la question de la diversité, très actuelle, passe non pas par le débat mais par la création, sur un plateau, face à un public pas toujours habitué à pousser la porte d’un théâtre ou d’un lieu culturel et cela mérite largement d’être souligné. La seconde lecture-mise en espace de Tabaski aura lieu le 12 mai prochain à Romainville.


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