Accusé.e : une injuste justice

Alors que le monde de la culture s’asphyxie un peu plus chaque jour en France, il y a un autre domaine où l’oxygène vient à manquer : celui de la justice. A l’heure où les lois sont débattues sur l’âge des relations sexuelles impliquant des mineurs et avec la diffusion récente à la télévision sur une chaîne du service public du magnifique et bouleversant film Les Chatouilles, adaptation du poignant seule-en-scène d’Andréa Bescond, la pièce de Clémence Baron, Accusé.e, se fait l’écho d’une injuste justice et met en lumière les défauts de cette instance en prenant appui sur un fait divers réel de 2012.

Clémence Baron est Louise Leduc © DR

L’homme est assis sur une fenêtre murée, le genre d’endroit ouvert sur un monde privé de liberté. Avec ses cheveux mi-longs ondulés, il inspire confiance : « Toute action a une répercussion et toute chose engendre quelque chose ». Mais revenons-en aux faits. Nous sommes au tribunal pour un procès en cours d’assises. Viol sur mineure, qui plus est en réunion. Louise avait 17 ans et elle a été droguée. Cinq ans plus tard, l’action de la justice aura une répercussion sur son existence. Quelle lenteur ! Cinq longues et interminables années durant lesquelles l’accusée d’être victime a tenté de survivre. Cinq longues et interminables années durant lesquelles l’accusé d’être coupable a pu profiter de la vie et présenter une défense rodée le faisant passer pour un garçon bien sous tout rapport, du moins en apparence. Mais que Gaspard Valeur se rassure. Du haut de ses 22 ans, cet élève en école de commerce international ne va pas voir sa vie disséquée, fouillée, scrutée dans les moindres détails. Fêtard et séducteur, personne n’ira lui demander si son attitude, son comportement est une preuve de culpabilité. En revanche, pour Louise, la crédibilité de son statut de victime sera mise à rude épreuve pour déterminer si ce soir-là, elle était « éligible au viol ». Ce sera dès lors parole contre parole.

Difficile de parler de la pièce sans trop en dire. Si je laisse en suspens l’énoncé du verdict, je ne peux néanmoins me taire sur la force et la puissance de l’écriture de Clémence Baron pour en faire une pièce bouleversante, marquante. Faire bouger les choses, secouer les consciences. C’est dans ce but que j’ai lancé le blog, à la recherche de pépites théâtrales pouvant apporter des clés de compréhension d’un monde qui nous échappe trop souvent. Accusé.e c’est une dénonciation de tous les travers de notre justice : sa lenteur, ses failles, ses choix. La pièce retrace le parcours du combattant des victimes qui, bien qu’elles soient souvent entourées, se retrouvent terriblement seules dans cette épreuve. Il en faut du courage pour parler, briser le silence, affronter le regard et le jugement des autres. Ici, Louise tente de se justifier. Sa vie, brisée, est au centre de toutes les attentions. Il n’y a pas assez de preuves ! Mais la cour cherche non pas des preuves de la culpabilité de Gaspard mais plutôt des preuves que Louise est bien une victime ! C’est cela l’incohérence, l’incompréhension de notre justice. Le bénéfice du doute profite toujours à l’accusé, à celui qui pourrait être coupable. Un classement sans suite et c’est une foule d’espoir qui s’évanouie. Injuste justice.

Le poids de la parole est un élément clé au théâtre comme dans notre société. Chaque mot, prononcé ou tu, peut se révéler une arme puissante. Le public de cette pièce est régulièrement pris à partie. Les spectateurs, se sont les jurés, ces gens choisis au hasard qui devront déterminer une lueur de vérité. Dans une mise en scène austère de Clément Baal et de Lucas Biscombe, les mots de Clémence Baron résonnent avec une pudeur désarmante et une véracité scintillante. Les acteurs sont époustouflants. Alexis Hubert prête ses traits à un Gaspard lisse et bien en apparence mais pathétique et cynique à souhait dès lors que l’on prend la peine de gratter légèrement le vernis du personnage qu’il s’est créé de toute pièce pour le procès tandis que Clémence Baron fait don de sa force fragile à la jeune Louise Leduc, émouvante de dignité. Mathilde Toubeau, est exceptionnelle en mère ravagée par le chagrin car impuissante face à la douleur et la détresse de sa fille. Brieux Dumont est un policier, un psychiatre mais surtout un avocat général convaincant et distant dans son réquisitoire qui ne retiendra que ce qu’il pourra utiliser pour ne pas entacher les apparences aux côtés de Romane Savoie grandiose dans la peau de la Présidente stricte et rigide, impartiale mais intimidante, devant faire preuve de neutralité malgré ce pouvoir d’acquitter ou de condamner. La voix de la justice c’est elle avec ses questions sans réponse, ses convictions, ses certitudes. Mais le moindre doute peut tout faire basculer. Reste Colin Doucet qui est Adam, cet être mystérieux et onirique, ce narrateur omniscient et bienveillant qui s’adresse avec douceur à Louise. Il est la voix de l’espoir, la petite lueur qui s’allume quand le noir enveloppe tout le reste. La petite étoile qui guide les pas de Louise sur le chemin de la survie avec le fol espoir qu’elle puisse tout simplement vivre et non survivre après ce procès. Il est le symbole de la paix intérieure, véritable quête de Louise.

La pièce est forte, essentielle. Inutile de rappeler que moins de 10% des victimes de violences sexuelles osent porter plainte et que dans ce pourcentage, encore 1 personne sur 10 voit son histoire analysée dans une cour d’assises. Peut-être parce qu’il est plus facile de requalifier les crimes en délit, peut-être parce qu’une victime sans justice est préférable à un innocent en cellule, peut-être parce que survivre est à la portée de tous. Peu importe ce qui poussent les statistiques à se ranger du mauvais côté de la balance, il est humainement éprouvant de mener à son terme le processus du statut de victime : dénoncer, affronter, se reconstruire. Une ode aux victimes et à leur courage comme il est nécessaire de voir actuellement pour que cesse l’impunité des coupables.

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La rédaction a visionné la représentation en avril 2021

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Accusé.e

Texte : Clémence Baron

Mise en scène : Clément Baal et Lucas Biscombe

Distribution : Clémence Baron, Colin Doucet, Brieuc Dumont, Alexis Hubert, Romane Savoie et Mathilde Toubeau

Durée : 1h10

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